Tribune signée Patrick Gouyou Beauchamps et publiée dans le Figaro du 6 mai 2020

Il est temps de repenser le lien entre les marques, les médias et les consommateurs et de mettre en place une démarche responsable. Tous les acteurs du marché publicitaire doivent unir leurs forces pour y parvenir.

Le 17 mars 2020 à midi, nos vies ont basculé. Chacun a dû adopter de nouvelles habitudes, de nouvelles manières de vivre et de travailler pour tenir la barre, coûte que coûte.

Dès le début du confinement, de nouvelles solidarités ont émergé de toutes parts : marques, citoyens, médias, agences, institutions, associations. Ces initiatives nous rappellent que nos valeurs communes d’entraide ont plus de pérennité que l’équilibre fragile de notre économie mondialisée.

Depuis, les arguties et visions prophétiques prolifèrent. Certains semblent savoir de quoi sera fait le « monde d’après ». Et en premier lieu qu’il ne sera pas « le monde d’avant ». Faisons preuve d’humilité dans notre connaissance de l’avenir et gardons-nous de croire que le temps se découpe à notre convenance. La crise que nous traversons est un révélateur de nos fragilités. Comme l’écrivait récemment Edgar Morin : « l’arrivée d’un imprévisible était prévisible, mais pas sa nature. D’où ma maxime permanente : “Attends-toi à l’inattendu.” »

S’il faut s’attendre à l’inattendu, rien n’empêche, en revanche, de s’y préparer. Nous devons profiter de cette épreuve singulière pour penser nos horizons de progrès. Aussi bien dans nos existences individuelles, que dans nos métiers et notre société.

Rien ne nous empêche par exemple de prendre acte des conséquences de nos actions court-termistes sur la marche vacillante du monde.

Rien ne nous interdit d’interroger l’utilité, les paradoxes et le sens de nos métiers à l’aune de cette crise.

Nous pouvons tous agir, dès à présent

Devenons des consommateurs éclairés, informés. Ayons conscience des choix que nous faisons et des conséquences qu’ils impliquent. Privilégions la qualité sur la quantité, la valeur sur le prix, soyons responsables ! L’indépendance et la souveraineté ont un prix. Celui du choix.

Soutenons également les médias dont la mission première est de diffuser une information pluraliste, de créer un lien démocratique où chacun peut aiguiser sa curiosité, construire son opinion et analyser. Donnons de la valeur à l’information fiable et de qualité. Dans une période incertaine, faisons en sorte que cette intermédiation démocratique continue de jouer son rôle sereinement.

Participons à des projets collectifs porteurs de sens et conformes à nos valeurs. Les initiatives collectives à l’oeuvre en temps de crise sont des exemples de solidarité qui doivent perdurer.

Questionnons sans cesse la valeur et la contribution sociétale de nos actions. L’enjeu n’est pas simplement de prendre en compte les nouveaux comportements des consommateurs. Il est de fonder nos approches et nos offres sur un lien repensé entre les marques, les médias et les consommateurs. Son terreau sera la responsabilité de tous les acteurs et la création de valeurs durables pour chacun.

Proposons donc des campagnes publicitaires responsables à même de développer une consommation durable et fondée sur l’« être » et non l’« avoir » comme moteur de production.

Du Return on Investment au Return on Impact**

Sortons de la logique court-termiste au service des seuls volumes de vente. L’approche quantitative exigée par bon nombre d’annonceurs et fondée sur la plus forte pression publicitaire possible au coût GRP1 net le plus faible n’a plus de sens. Le modèle fondé sur la seule productivité média est destructeur de valeurs. C’est le « toujours plus pour toujours moins » !

Valorisons les campagnes soucieuses de l’intérêt général, porteuses de valeurs d’entraide, et capables d’accélérer la création de valeurs des marques.

L’absence de valeurs conduit nécessairement à la réduction de la valeur. Repensons nos modèles de mesure de la performance. Basculons du Return on Investment au Return on Impact.

La réduction drastique des investissements média nous invite à questionner notre rapport au temps et notre rôle d’intermédiation pour construire avec nos clients des campagnes en prise avec les enjeux de société et qui résistent aux aléas du marché.

Plus que jamais, nous sommes convaincus, en tant qu’agence média, que nous avons une position centrale. Les agences médias sont au cœur de la transformation de notre secteur. Elles ont une mission d’intermédiation entre les médias et les marques, entre les marques et leurs consommateurs.

Cette mission nous oblige à aider nos clients partenaires à faire les bons choix ; elle nous oblige à être la vigie de leurs marchés grâce à une approche chiffrée concrète et raisonnée ; elle nous oblige à fournir, à intervalles réguliers, un travail d’études prospectives ; à les conseiller sur de nouvelles stratégies fondées sur leurs valeurs et à nous assurer qu’elles correspondent aux besoins et perceptions des clients, citoyens et consommateurs ; elle nous oblige enfin à garantir que les marques puissent s’exprimer dans des conditions conformes à leurs engagements. C’est ce que les consommateurs attendent.

Alors, je forme trois vœux qui sont autant d’occasions de créer du commun :

Et si on exigeait des comptes ?

La publicité se déploie sur le numérique de façon spectaculaire depuis une dizaine d’années avec une réelle efficacité dans sa capacité à toucher les consommateurs au plus près de leurs besoins et de leurs attentes. Cependant, le digital n’est pas que merveilleux. Il ne l’est pas car nos données, pourtant protégées par les normes européennes RGPD2, restent exploitées à des fins de ciblage dont nous connaissons les dérives possibles. Il ne l’est pas car il donne tout pouvoir à une poignée de géants qui aspirent 90% de la publicité digitale au détriment de la pluralité des médias. Il ne l’est pas non plus car la puissance des serveurs a un impact direct et néfaste sur l’environnement. N’oublions pas que la surconsommation des vidéos en ligne génère chaque année 300 000 tonnes de CO2. Soit l’équivalent de gaz à effet de serre de l’Espagne…

Portons des objectifs réalisables de diminution des émissions de gaz à effet de serre et luttons pour que l’énergie qui alimente les serveurs soit plus verte.

Sensibilisons les marques à ces réalités en proposant un « indice bas carbone » ou des compensations vertes à nos plans médias.

Et si on revalorisait l’information ?

Cette crise est un exhausteur de crises. Nous le savons, l’information certifiée, celle qui émane des médias historiques, est mise en concurrence avec la viralisation des « fake news » dont les réseaux sociaux sont le plus souvent le vecteur. Pour lutter contre ces phénomènes, les médias se mobilisent, s’entraident, créent des outils de vérification de l’information, investissent les réseaux sociaux. Toutefois, ils ne peuvent pas combattre seuls. Alors, pour garantir la force de ce contre-pouvoir et sa pluralité, les marques, via la publicité sont indispensables et légitimes.

Et si on épousait des objectifs communs ?

Cette tribune est un appel. Un appel au commun, aux bonnes volontés. Un appel au rassemblement, à l’unité même. Ce n’est pas un appel à l’uniformité. Continuons de cultiver nos différences, offrons de la pluralité mais agissons ensemble pour créer des références nouvelles. C’est un chemin. Empruntons-le sans plus tarder.

J’appelle les marques médias et leurs régies publicitaires à accélérer la mesure de leur empreinte carbone. J’appelle l’ensemble du marché publicitaire, agences médias, marques médias et régies publicitaires en télévision, radio, presse, affichage, cinéma et digital à unir leurs forces dans une démarche de responsabilité et tournée vers le développement durable pour construire un modèle de mesure aux indicateurs unifiés.

C’est seulement ainsi que nous pourrons rendre des comptes aux annonceurs, aux consommateurs, à la planète et être enfin responsables !

1 Gross Rating Point, indicateur de la pression publicitaire en médias 2 Règlement général sur la protection des données * Nouvelle donne ** Du retour sur investissement au retour sur impact.

Values.media est membre de l’UDECAM et co-présidente de l’AAMI – Association des agences médias indépendantes.